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  • Pierre Guillet a publié une note il y a 1 an et 1 mois

    Disparition du timbre rouge ; Que Choisir, 23 février 2023
    Après 175 ans de bons et loyaux services, le timbre rouge tire sa révérence. Ce petit bout de papier qui permettait à une lettre d’arriver le lendemain chez son destinataire n’est plus disponible. Pour La Poste, cette décision était inéluctable. « L’année dernière, chaque Français a envoyé en moyenne 3 courriers prioritaires, contre 45 en 2010. Et la chute ne fait que s’accélérer. Les moyens mis en œuvre pour réaliser la distribution en J + 1 étaient devenus disproportionnés », assure Léonore Dobbelaere, directrice marketing courrier colis à La Poste. Elle indique avoir travaillé 2 ans sur le sujet : « Pendant ce temps, nous avons mené des enquêtes auprès de nos clients. Il en est ressorti qu’ils étaient particulièrement attachés à ce que les délais annoncés soient respectés, mais qu’ils n’avaient pas forcément besoin que leur courrier arrive dès le lendemain. »
    En arrêtant le timbre rouge, La Poste entend à la fois réduire ses coûts de distribution et limiter son empreinte écologique. Car, pour acheminer le courrier partout en France en quelques heures, des camions et des avions sillonnent chaque nuit le territoire. La Poste affirme qu’avec la fin du timbre rouge elle pourra supprimer pas moins de 3 allers-retours quotidiens par la voie des airs depuis Paris vers Marseille, Toulouse et Montpellier, de même qu’une partie des 300 liaisons par la route grâce à l’optimisation des chargements. Ces déclarations laissent toutefois perplexes les syndicats. « On ne sait pas encore comment cela va s’organiser concrètement, mais ce qui est certain, c’est que des liaisons quotidiennes vont perdurer, ne serait-ce que pour acheminer les colis en Chronopost qui, eux, doivent arriver le lendemain », commente Jean-Philippe Lacout, de Force ouvrière Communication. « Il n’est pas anormal que La Poste s’adapte à l’évolution des usages, cependant cette décision a été prise de manière unilatérale, sans étude d’impact, et alors que le groupe vient de toucher 520 M€ d’aides publiques pour maintenir la qualité du service universel. En plus, si l’on tient compte des envois par les professionnels, le nombre de courriers en J + 1 était loin d’être négligeable », s’étonne, quant à lui, Nicolas Galépides, de Sud PTT. Il ajoute : « La suppression du timbre rouge est avant tout un bon moyen pour La Poste de faire des économies au détriment du service public. »
    Des alternatives non à la hauteur
    Désormais, les Français ayant des lettres à envoyer sont invités à se tourner vers le timbre vert, un peu moins cher mais assurant une distribution en 3 jours. La Poste a toutefois pensé à ceux qui ont un besoin impératif que leur courrier arrive dès le lendemain en créant un nouveau service, l’« e-lettre rouge ». Les documents envoyés par ce biais sont numérisés et transférés sous forme de fichiers numériques vers un centre d’impression situé dans la région de destination, où ils sont imprimés. Puis ils sont mis sous pli avant d’être déposés le jour suivant, par le facteur, dans la boîte aux lettres du destinataire.
    Grâce à ce système hybride, le transport se limite à la distance qui sépare le centre d’impression et l’adresse de livraison. De plus, les délais d’acheminement sont raccourcis. Alors qu’en timbre rouge, le courrier devait être déposé avant l’heure de la levée, soit le plus souvent en milieu de journée, une e-lettre rouge, elle, peut être expédiée jusqu’à 20 h00 sur Internet.
    Le dispositif a toutefois des défauts. D’abord, il s’avère plus cher. Alors que le timbre rouge coûtait 1,43 €, la e-lettre rouge, elle, est facturée 1,49 €. La Poste explique ce surcoût par le fait qu’elle prend à sa charge l’impression et la mise sous pli. Ensuite, la confidentialité des correspondances, pourtant garantie par la loi, pose question. « Les courriers sont traités de manière automatisée dans des pièces sécurisées au sein des plateformes, tente de rassurer Léonore Dobbelaere. Un postier n’est présent que pour résoudre les éventuels bourrages papier ou remettre de l’encre dans la machine, mais en aucun cas, il ne lira les courriers qui sont imprimés. Qui plus est, il est assermenté comme tous les agents. »
    Si La Poste reconnaît conserver les fichiers numérisés pendant un an afin de répondre aux éventuelles réclamations, elle insiste sur le fait que ceux-ci sont stockés dans ses propres centres de données situés en France, et dans le respect des règles européennes. Reste qu’aucun système de stockage n’est inviolable. La preuve : en juillet dernier, sa filiale La Poste Mobile s’est fait voler les données personnelles de certains de ses clients, et une partie de ces informations a même été mise en ligne par les pirates afin d’obtenir le versement d’une rançon. Bref, si le risque de voir sa correspondance dévoilée demeure limité, il n’est pas nul.
    Un pas de plus vers la dématérialisation
    La e-lettre rouge est loin d’apporter le même service que le timbre. D’une part, parce qu’elle n’offre pas la possibilité d’envoyer de documents originaux ou de joindre à son courrier un chèque, une photo ou un titre de paiement, par exemple. D’autre part, parce qu’elle nécessite d’avoir un ordinateur, une connexion à Internet et d’être à l’aise avec l’informatique. Or, selon une étude récente de l’Insee, 7% des foyers n’ont pas accès au Web, et 13 millions de Français se sentent en difficulté avec le numérique. Enfin, comme le montre le test que nous avons réalisé, expédier une e-lettre rouge n’est pas si aisé. Résultat, beaucoup de personnes risquent de se détourner du service faute de réussir à s’en servir. Nombre d’entreprises pourraient choisir d’autres solutions d’affranchissement, et des factures, devis et autres résultats médicaux, qui jusque-là étaient délivrés en urgence, mettre désormais 3 jours à arriver.
    Afin de ne pas laisser de côté ceux qui auraient du mal à utiliser le service en ligne, La Poste assure qu’ils trouveront de l’aide dans ses agences, où un chargé de clientèle est censé scanner à leur place les documents et les transmettre électroniquement. Enfin ça, c’est en théorie. Car en pratique, on est très loin du compte ! Sur les 5 bureaux de poste que nous avons visités mi-janvier, aucun n’a pu expédier notre courrier en e-lettre rouge. À chaque fois, l’employé nous a conseillé d’opter soit pour un timbre vert, soit pour un Chronopost… facturé 30€. 2 d’entre eux ont bien fini par nous indiquer qu’il était possible d’envoyer des documents en J + 1 en se rendant sur Internet, mais ils nous ont soutenu qu’il fallait absolument rédiger notre courrier sur le site dédié, alors qu’en fait ce n’est pas obligé. Aucun ne nous a proposé de le prendre en charge, contrairement à ce qu’affirme La Poste. Quant aux automates que la direction du groupe a aussi promis de déployer, nous n’en avons vu aucun.
    Face à l’évidence, La Poste a bien été forcée de reconnaître que la situation était loin d’être optimale. Elle assure toutefois que c’est provisoire. « Tous les bureaux de poste ont été dotés du matériel nécessaire, mais il faut du temps pour former les agents », avance Léonore Dobbelaere. Et encore ! Seuls 7 300 bureaux seront équipés finalement. Aucun déploiement n’est prévu dans les relais Poste installés chez certains commerçants, ni dans les agences communales présentes dans de nombreux villages. Appelée à se prononcer sur ces changements, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) s’est contentée de souligner l’importance d’un accompagnement des publics les plus fragiles, afin qu’ils ne soient pas exclus du nouveau dispositif. Force est de constater que, pour l’heure, cette obligation n’a pas été respectée.
    Le symbole de la fracture numérique
    Outre ses conséquences réelles, l’aspect symbolique de cette décision ne doit pas être négligé. Car, pour beaucoup de Français, la suppression du timbre rouge marque non seulement un recul du service de distribution du courrier, mais elle contribue aussi à l’éloignement des services publics et à l’aggravation de la fracture numérique entre, d’un côté, la population capable de s’adapter à cette dématérialisation forcée et, de l’autre, les personnes plus fragiles qui se sentiront, à juste titre, encore un peu plus mises à l’écart.
    Sans compter que cette mesure s’ajoute à d’autres dispositions prises par La Poste, comme la fermeture de bureaux, le remplacement régulier des facteurs ou encore l’augmentation des frais d’expédition. « Comment vont faire les usagers qui n’ont pas d’ordinateur, qui se trouvent dans une zone blanche et qui n’ont pas de moyen de locomotion pour se rendre dans leur bureau de poste ? », s’inquiète André dans un courrier adressé à Que Choisir. « Le désert administratif et les dangers d’Internet ne semblent pas émouvoir La Poste, obnubilée par la rentabilité », se désole, quant à lui, Mickaël.
    Des informations récentes ne risquent pas de calmer ces inquiétudes. En janvier dernier, nos confrères de France Info révélaient que La Poste envisageait de lancer des expérimentations pouvant aboutir à la fin des tournées quotidiennes des facteurs. Si l’entreprise a reconnu chercher à optimiser les distributions de courrier, elle promet que celles-ci continueront à être assurées 6 jours sur 7, comme la loi l’y oblige. Quant aux suppressions de postes que redoutent les syndicats, elles ne seraient pas du tout à l’ordre du jour, jure une porte-parole du groupe. Une fois de plus, on est prié d’y croire.

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